mardi 27 octobre 2015

La maison de Jevrem Grujić

Dans le centre ville, rue Svetogorska, se trouve un petit musée privé qui plonge ses visiteurs dans le Belgrade mondain d'autrefois: la Maison de Jevrem Grujić, diplomate et homme politique, ministre dans le gouvernement du Royaume de Serbie. 

La Maison de Jevrem Grujić et le Théâtre Atelje 212
Je suis certaine que beaucoup de Belgradois, tout comme moi jusqu'à il y a qelques jours, pensent que cette belle demeure est partie intégrante du Théâtre Atelje 212 qui est construit dans son prolongement. Ce n'est pas le cas. La construction de ce bel immeuble fut achevée en 1896 et cette demeure est le premier immeuble en Serbie qui reçut le statut de monument culturel en 1961.

Cette demeure n'est pas une demeure comme les autres. Elle est liée à une période très importante de l'Histoire de la Serbie: celle de sa transformation d'une société ottomane en une société européenne moderne. Elle représente la Serbie bourgeoise à l'aube du 20ème siècle, celle des premières générations éduquées dans les universités européennes et qui, les études achevées, revinrent en Serbie pour servir leur Roi, leur peuple et créer un pays moderne.

Jevrem Grujić

Mais commençons par le commencement, bien avant la construction de cette belle maison. 

Le Prince Miloš, premier souverain de la Serbie autonome sous l'Empire Ottoman était un grand amateur de femmes. Ses maîtresses furent nombreuses et certaines d'entre elles sont entrées dans l'Histoire, comme Petrija, tuée par la Princesse Ljubica, épouse du Prince Miloš, ou encore, plus importante pour notre sujet, Jelenka, dont la beauté envoûta le Prince, si bien qu'elle ne fut pas uniquement sa maîtresse, mais également son conseiller. Son influence était si grande qu'un seul mot de sa part au Prince pouvait vous faire monter en grade, ou vous faire perdre tout et finir en prison - ou finir tout court. Si la Princesse Ljubica était appelée la Grande Dame par le peuple, Jelenka était appelée la Petite Dame.

La belle Jelenka
Après de nombreuses années passées côte à côte, après la mort du fils né de leur liaison, et peut-être même après un accord fait avec son épouse légitime la Princesse Ljubica, le Prince Miloš marie sa maîtresse Jelenka à Teodor Herbez, homme politique, ministre des finances et membre du Conseil d'Etat. 

Le Prince Miloš fut plus que généreux et offrit en tant que dotte à la mariée un grand terrain dans ce qui était alors la périphérie de Belgrade, et sur une partie duquel se trouve aujourd'hui la Maison Grujić. Jelenka et Teodor n'eurent pas de descendants et adoptèrent la nièce de Jelenka, nommée Jelena. C'est Jelena qui, à la mort de ses parents adoptifs, hérita de tous leurs biens.

Au bal de la Cour, Jevrem fait la connaissance de la jeune Jelena et l'épouse peu après. Elle a 16 ans. Sa robe de mariée est exposée dans l'un des salons et on peut remarquer que la robe est de style européen. Et c'est ainsi que commence l'histoire de cette merveilleuse demeure. Jevrem Grujić entreprit sa construction dont il ne vit malheureusement pas la fin. En effet, la construction s'acheva environ un an après son décès, en 1896.

Portrait de Jelena Grujić et sa robe de mariée. Dans ce portrait, elle est représentée dans la robe qu'elle porta lors du jubilé d'or de la Reine Victoria
Portrait de Jevrem Grujić (à gauche) et son costume
La famille Jevrem cotôya les membres des familles royales et souvent la Reine Natalija Obrenović venait prendre le thé sans protocole, en amie. Dans l'un des salons se trouve également une photographie de la Reine Maria Karađorđević avec sa dédicace, car la fille de Jelena et Jevrem, Mirka, fut la première dame dans l'escorte de la Reine.

Portrait de la Reine Natalija dans l'un des salons. Sour le portrait, l'un des objets les plus précieux du musée, un service pour liqueur en cristal, cadeau du Roi Milan et de la Reine Natalija
Entrée dans le salon où est exposée la photo dédicacée de la Reine Maria Karađorđević
Jelena et Jevrem eurent dix enfants. Mais seule l'une de leurs filles eut des descendants, dont font partie les propriétaires actuels de la demeure. Au fil de votre visite se succèdent les portraits et photographies des membres de la famille, comme celles de Slavko Grujić, fils de Jelena et Jevrem, diplômé de la Sorbonne à Paris, ambassadeur de la Serbie à Londres et de son épouse américaine, Mable, surnommée la Jeanne d'Arc Serbe.



Les armes exposées ont pour la plupart servi lors de grands événements historiques de la Serbie, comme par exemple lors de la première insurgion serbe contre l'occupation ottomane.


La maison ayant été pillée durant la Première Guerre Mondiale, la famille emmurra tous ses objets précieux dans la cave lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclata. Tant mieux pour toutes les générations qui peuvent admirer tous ces trésors de la Serbie d'antan.

 
Tout ceci n'est que pour vous donner un avant-goût de tout ce que vous pouvez voir dans cette demeure splendide. Tous les détails, histoires, anecdotes que révèlent les objets exposés attendent que vous les découvriez, si vous passez par Belgrade et si vous désirez remonter le temps, le temps d'une visite dans la Maison de Jevrem Grujić.

vendredi 16 octobre 2015

La Tour Nebojša

Tout près du confluent de la Save et du Danube, au pied de la forteresse Kalemegdan, se trouve une petite tour qui se dresse, solitaire et fière, et témoigne de grands événements du passé de la capitale: la Tour Nebojša, construite vers 1460 par les Hongrois et qui servit durant longtemps à veiller sur le port du Danube et à repousser les attaques de l'armée Ottomane.
 
La Tour Nebojša
Nebojša est un nom masculin serbe et bien souvent, même les serbes qui ne connaissent pas vraiment leur Histoire, pensent que la tour porte le nom d'un certain personnage du nom de Nebojša. Mais ce n'est pas le cas. La tour porte un nom plus dramatique et symbolique: Nebojša, du verbe ''Ne pas avoir peur'' (Ne bojiti se).

Ainsi, la Tour est courageuse et n'est pas facilement intimidable, la Tour n'a pas peur. Comme le raconte la légende, lors de la conquête de Belgrade par les Ottomans en 1521, la Tour qui faisait jusqu'alors partie de la forteresse s'éleva dans l'air et s'envola pour se déposer au pied de la forteresse, à sa place actuelle, si bien qu'elle ne fut pas conquise par les ottomans lors de la prise de la forteresse.

Bien sûr, les faits réels disent autrement, car la vieille tour fut détruite lors de cette bataille et ce n'est qu'une fois que la résistance de ses canons fut anéantie que l'armée ottomane réussit à prendre la forteresse de Belgrade. La Tour fut détruite plusieurs fois et plusieurs fois reconstruite dans le passé.



Durant l'occupation ottomane, elle perdit petit à petit son rôle de gardienne du port pour remplir à la fin une fonction bien plus lugubre, celle d'un donjon infâme où de nombreuses personnes trouvèrent la mort.

Parmi elles, un héro grec de la lutte contre l'occupation Ottomane qui n'a pas été oublié par le peuple serbe: Rigas Fereios. En effet, tout près de la forteresse dans le quartier de Dorćol, un monument lui est dédié, dans la rue qui porte également son nom. L'une de ses célèbres citations: ''Mieux vaut vivre un jour en tant qu'homme libre, que de vivre quarante ans en tant qu'esclave''.

Il fut exécuté dans la tour le 24 Juin 1798, et son corps fut jeté dans le Danube. Ses derniers mots furent: ''J'ai semé de riches graines, le jour est proche où mon peuple récoltera les fruite fameux.''

Le monument dédié à Rigas Fereios
Durant la seconde guerre mondiale, la rive où se trouve la Tour fut le lieu de bien tristes événements. En effet, les corps des victimes du camp de concentration de Jasenovac jetées dans la Save firent surface à cet endroit et les pêcheurs Belgradois les enterrèrent autour de la tour, dans une fosse commune.

La rive au pied de la Tour Nebojša
La Tour fut restaurée il y a quelques années et abrite un petit musée. La rive est aujourd'hui un lieu de promenade et la piste cyclable permet aux amateurs de balades à vélo de jouir de l'atmosphère relaxante du fleuve.

La Tour est toujours là, et garde la forteresse.